Michel Goya insiste sur ce qui saute aux yeux de tous les visiteurs des forces armées en Afghanistan, à savoir que les armées occidentales instruisent des cadres qui sont nés un fusil à la main, ont mis les Soviétiques de l'Armée Rouge dehors manu militari, ont conduit les uns contre les autres des guerres civiles meurtrières. Ce sont les frères, les cousins, les voisins de ces soldats de l'ANA qui mettent actuellement sérieusement en péril une coalition technologique de 100.000 soldats.

Michel Goya n'y va pas avec le dos de la cuiller : "Au total, l'ensemble du système de formation de l'armée afghane apparaît comme une machine à faible rendement alors que la ressource humaine locale, imprégnée de culture guerrière, est de qualité. On ne permet pas aux Afghans de combattre à leur manière, en petites bandes très agressives (c'est-à-dire comme les rebelles que nous avons en face de nous) tout en ayant du mal à les faire manoeuvrer à l'occidentale."

Un conflit gagnable parce que les talibans sont largement détestés !

L'écart entre l'armée afghane et ceux qui - Français ou Américains, ou autres - la soutiennent est inimaginable. On sait déjà que la solde quotidienne d'un soldat afghan ne lui permet pas d'acheter une bouteille d'eau minérale, mais le colonel présente d'autres références : une mission moyenne, sans tir, d'un chasseur-bombardier équivaut à la solde mensuelle d'un bataillon afghan ! Solution proposée : doubler la solde des soldats de l'ANA, ce qui coûterait de 200 millions à 300 millions de dollars par an, quand la seule présence américaine coûte un milliard de dollars par semaine ! Ce chiffre est à rapporter aux recettes propres (taxes fiscales, etc.) annuelles de l'État afghan : 400 millions de dollars ! Mais il souligne d'autres anomalies, "comme lorsqu'il a été décidé d'échanger les increvables AK-47 dont ils maîtrisent le fonctionnement dès l'enfance, par des M-16 trop encombrants pour eux."

Concernant la tactique de l'armée américaine, elle repose sur la force de frappe de ses armes. Avec des conséquences directes sur les combattants afghans, qu'ils appartiennent à l'ANA ou à l'insurrection : "Cette puissance de feu écrasante est comme un Midas qui transforme en héros ceux qui s'opposent à elle, en martyrs les talibans qui en sont victimes et en vengeurs les proches de ces martyrs. Inversement, ceux qui se protègent derrière elle et refusent le combat rapproché apparaissent comme des lâches."

Cette analyse rejoint celle du colonel Francis Chanson, qui termine son mandat en vallée de Kapisa à la tête de la Task Force Korrigan. Michel Goya écrit que le général Stanley McChrystal, patron de la coalition, est parfaitement conscient de cet état de fait, et que ce qu'il appelle la "spirale vietnamienne" conduit à une issue probable : "Cette manière de faire la guerre à distance est incontestablement perdante à terme". L'auteur tempère néanmoins quelques lignes plus loin, en écrivant que ce conflit "est gagnable, ne serait-ce que parce que les talibans sont largement détestés."

S'agissant des forces militaires françaises, le colonel Goya observe que le district de Surobi "semble en voie de pacification", mais qu'il n'en va pas de même en Kapisa "beaucoup plus difficile". Il note également que "beaucoup de Français, soldats en OPEX, sur place ont le sentiment d'une opération à bas bruit et à bas coût, sorte de guerre d'Indochine en modèle réduit." Et de proposer que la coalition prenne de nouvelles initiatives pour lesquelles il propose quelques pistes :

  • Engagement direct sous contrat des soldats locaux, à la manière des unités jaunies d'Indochine.
  • Création d'un petit corps permanent d'officiers des affaires afghanes, dont la connaissance parfaite de la langue et d'un secteur donné faciliterait grandement l'action des unités tournantes. 
  • Intégration d'une composante de type "service militaire adapté" au sein des bases françaises en Afghanistan pour donner une formation professionnelle aux jeunes Afghans.

Autant de suggestions propres à alimenter le débat...

Source : Jean Guisnel - Le Point.fr