Dernier atterrissage pour le grand pilote d’essais.
Jean Boulet s’est éteint à Aix-en-Provence le 15 février, à l’âge de 90 ans. Avec lui disparaissent des pans entiers de l’histoire de l’aéronautique française, et plus particulièrement en matière de voilures tournantes. Il fit en effet l’essentiel de sa carrière au sein de la division hélicoptères de la SNCASE et, au fil des années, marqua son temps.
On se demande, aujourd’hui, ce qu’il convient d’admirer le plus : le talent exceptionnel du pilote, sa gentillesse ou sa modestie. Il avait pourtant connu très tôt les feux de la rampe, notamment en battant de nombreux records. L’un d’eux fut et reste plus mémorable que d’autres, le record du monde d’altitude en hélicoptère, 12.442 mètres, le 21 juin 1972, exploit que Jean Boulet réalisa aux commandes d’un Lama et qui n’a jamais été battu.
Sa belle carrière avait débuté à Polytechnique (promotion 1940). Et il avait écouté avec attention un exposé destiné à attirer l’attention des élèves sur les possibilités offertes par l’armée de l’Air. Exposé fait par un certain André Turcat, et apparemment très convaincant. C’est ainsi que Jean Boulet choisit cette direction et obtint son brevet de pilote de chasse, dans la filière américaine. Il aimait évoquer la découverte des Etats-Unis des années quarante, le début de l’entraînement sur Stearman PT13 et T-6 puis le grand moment du lâché sur P-47.
En février 1946, Jean Boulet rentre en France, est muté à Meknès et, aussitôt, se pose des questions sur l’avenir. Il décide alors de quitter l’uniforme pour aller vers l’industrie, envoie des candidatures spontanées, notamment à Jacques Lecarme, directeur des essais en vol de la SNCASE. Il est embauché et commence par voler sur Vampire et Mistral. Une vrille plate de son Vampire lui vaut alors un premier titre de gloire, bien involontaire, celui d’être le premier pilote français à faire usage d’un siège éjectable.
La SNCASE, dès la fin des années quarante, s’intéresse aux hélicoptères, à un moment où leurs possibilités opérationnelles sont à peine entrevues. Vient alors un stage voilures tournantes et, peu après, un épisode de petite histoire qui aura des conséquences importantes. Le prototype SE 3101, adaptation d’un appareil Focke-Agelis, sous-motorisé, refuse de quitter le sol pour son premier décollage, de toute évidence par manque de puissance. D’où l’idée de demander au pilote désigné, Henri Stakenburg, de céder son siège à Jean Boulet …parce que celui-ci pèse 15 kg de moins que son collègue. Le premier vol peut avoir lieu, même si l’altitude atteinte se mesure en centimètres. Suivra une belle et longue carrière, marquée par la série des Alouette, Puma, Frelon, etc.
En toutes circonstances, Jean Boulet est resté profondément modeste. Et on ne l’a plus beaucoup entendu après son départ en retraite, alors qu’il était profondément respecté par ses pairs. Membre fondateur de l’Académie de l’air et de l’espace, où il avait retrouvé son ami André Turcat, il avait pris la plume, à de trop rares reprises, notamment pour rédiger une «Histoire de l’hélicoptère racontée par ses pionniers».
La disparition de Jean Boulet sera durement ressentie. De plus, elle rappelle, si besoin est, qu’une génération entière de pionniers est en train de disparaître, celle d’hommes animés par une grande passion et qui, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale et tout au long des années cinquante, ont œuvré avec une exceptionnelle conviction pour un nouveau départ de l’aviation française. Un nouveau départ brillamment réussi.
Pierre SPARACO - AeroMorning
Carrière et distinctions de M. Jean Boulet
Carrière
1942 : Ingénieur Polytechnique
1944 : Ingénieur Sup Aéro
1945 : Pilote militaire N°32793
1947 : Ingénieur pilote SNACASE
1948 : Brevet N°8 de pilote hélicoptères FAA
1952 : Promotion pilote d’essai CEV
1953 : Directeur Essais en vol division hélicoptères
1954 : Brevet PPH N°3
1955 : Brevet pilote d’essais avions N°148
1957 : Ingénieur navigant d’essais
1962 : Pilote d’essais hélicoptères N°12
1975 : Quitte les essais en vol et devient chargé de missions de l’Aérospatiale jusqu’en 1983
Distinctions
1956 : Chevalier de la Légion d’Honneur
1956 : Médaille du Mérite Civique
1957 : Médaille du sauvetage et du dévouement
1957 : Médaille de l’Aéronautique
1961 : Prix Icare (Associations des Journalistes Aéronautiques)
1967 : Grande Médaille de l’Aéroclub de France
1973 : Officier de la Légion d’Honneur
1974 : Grand Prix de l’Association Aéronautique et Astronautique de France
1975 : Grande Médaille d’Or des Vieilles Tiges
1976 : Pilot of the Years de la HAA
1979 : Vice Président American Helicopter Society
1979 : Remporte la Coupe Henri Bories
1981 : Président Fondateur du GFH
1982 : Prix de la Commission histoires, arts et lettres de l’ACF
1983 : Membre de l’Académie Nationale de l’Air et de l’Espace
1984 : Trophée « Sir Richard Fairey » décerné par le Prince Andrew au Royal Club d’Angleterre
Une bien triste nouvelle; un grand parmi les grands de l'aéronautique et des essais en vol vient de nous quitter.
Respects à Jean BOULET et sincères condoléances à sa famille et à ses proches.
Michel BRAULT, Pilote hélicoptères et Ingénieur navigant d'essais (1994-1995 - François HUSSENOT)